La différence avec le chamanisme traditionnel est de taille puisqu’on part du principe que tout le monde a accès au voyage et à la rencontre avec les esprits, alors qu’ailleurs, seul le chamane voyage entre les mondes. Les adeptes sont invités à mettre en pratique des techniques déjà reconnues pour réaliser des expériences chamaniques afin d’apprendre des choses sur soi et donner du sens au monde et à la vie. Le principe est de faire voyager la conscience pour entrer en communication avec les esprits, énergies, forces ou entités conçues comme porteuses de savoir. En Mongolie, par exemple, mais cela reste valable pour la Sibérie et les régions arctiques, le chamane utilise son tambour pour appeler les esprits à descendre dans l’espace sacré et ritualisé par l’intermédiaire de l’autel qu’il a pris le temps de préparer avec des offrandes. Les objets chamaniques, costume, tambour, mais également le corps du chamane lui-même deviennent réceptacles des esprits. C’est le premier mouvement centripète, qui va vers l’intérieur : le chamane appelle, dans un mouvement qui va de l’extérieur à lui et son patient, centre de l’attention rituelle. Juste après cette « descente », c’est le mouvement inverse qui se met en place, centrifuge, qui va vers l’extérieur quand l’agentivité du chamane se transporte vers des espaces éloignés. À la suite de Charles Stépannoff, on peut nommer « espace réel » le lieu de la performance observable par l’assistance, et « espace virtuel » les lieux postulés des actions qu’entreprend le chamane dans l’autre monde. Actions qui se matérialisent dans l’espace réel par les chants, musique et gestuelles du chamane. La cohérence entre les deux lieux doit rester forte sinon les actions du chamane dans l’autre monde restent illisibles pour le public ; s’il reste au sol gisant, perdu dans ses visions, le rituel ne sera pas performatif. Il doit engager le public émotionnellement pour que le rituel soit un succès. Le rituel est une expérience collective dans lequel les participants accomplissent ensemble une opération d’imagination qui consiste à percevoir l’autre monde dans l’espace réel immédiat. Les objets, costumes, et tambours participent à la narration. Tout ce folklore, cette gesticulation du chamane, perçue comme diabolique chez les premiers observateurs, renforce ce dispositif pour une participation cognitive et imaginative qui engage le public dans la performance. On comprend bien là déjà le lien avec l’hypnose, le chamane raconte une histoire, suggère des nœuds existant, des dénouements possibles, des obstacles, des échecs et des solutions, des résolutions de problèmes et conflits. Dans le chamanisme occidental, le dépouillement total est atteint, la pratique est dépouillée complètement jusqu’à intérioriser tout l’imaginaire ; plus de costume, plus de tambour, pas de grigri, pas de monde autre peuplé d’esprits, mais des visualisations de mondes imaginaires et des perceptions psycho-corporelles qui enracinent les pratiques comme autant de signes d’ancrage, autrement dit, des « madeleines de Proust » qui inscrivent l’expérience dans le corps du chamane. Le voyageur au tambour vit virtuellement des aventures qu’il enregistre dans son corps avec les mêmes forces et vertus que si c’était réel. Les témoignages abondent en ce sens : « Ce que j’ai vécu est plus réel que la réalité, j’étais vraiment un loup qui courait dans les bois ». Dans le chamanisme occidental encore, que ce soit avec ingestion de plantes dites « enseignantes », ou transe induite par les percussions du tambour, une place fondamentale est donnée aux états modifiés de conscience conçus comme des espaces-temps parallèles, niveaux de conscience différents, champs énergétiques autres, dans lesquels ce contact avec les entités est possible. Les messages venant de guides spirituels ou directement de la Nature (Terre-Mère) conçue comme entité primordiale participent à un mouvement planétaire pacifique, enclin à l’Amour Universel, au respect de la nature et des animaux. Ces visions sont ressenties comme des perceptions amplifiées d’une autre réalité et non comme des hallucinations, elles donnent des informations concrètes sur la manière de gérer sa propre vie, son rapport à l’autre et plus largement, son rapport à l’environnement et à l’invisible. On parle alors d’enseignements qui viennent directement de la plante, des anges, de la Terre-Mère, d’entités diverses ou de la Source, entité originelle. Les visions issues d’autres plans de conscience ont fait émerger un art dit « visionnaire » qui, peu à peu, prend sa place dans les galeries d’art. Source : "Le voyage chamanique au tambour Des traditions mongoles aux thérapies du troisième millénaire" de Laetitia Merli.
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Janvier 2023
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